Interview Alexandre Cortyl: L’analyse de données pour tous les métiers
Alexandre Cortyl, product analyst chez Dashlane, une entreprise informatique à Paris, était l’invité du cours Bachelor de Business Intelligence de notre intervenant Nicolas Szewe. L’ESM a profité de sa visite pour comprendre en quoi consiste son métier et quels sont les enjeux liés à la donnée pour les entreprises, quelles qu’elles soient.
-En quoi consiste votre travail chez Dashlane ?
-Alexandre Cortyl: Dashlane est une entreprise française qui construit et développe un gestionnaire de mots de passe. Notre application vise à faciliter et sécuriser la vie des utilisateurs sur internet. On leur fournit une solution qui leur permet de ne pas réutiliser le même mot de passe simple sur tous leurs comptes, mais qui génère des mots de passe aléatoires, compliqués, remplis automatiquement, et dont ils n’ont jamais besoin de se souvenir. L’entreprise qui existe depuis une dizaine d’années compte 300 employés répartis entre Paris, New York et Lisbonne. Le plus gros de notre marché se trouve aux Etats-Unis.
-Vous y travaillez depuis 4 ans en tant que responsable de l’équipe product analytics. Concrètement que faites-vous ?
-La product analytics est un segment du monde de l’analyse de données. On travaille en étroite collaboration avec le département produit et ingénierie. On apporte des yeux sur ce que font les utilisateurs au sein de l’application. Notre travail c’est analyser des données d’usage qu’on collecte pour aider à comprendre ce qui fonctionne ou non, ou comment améliorer notre produit.
-Vous êtes venus partager votre métier à nos étudiants bachelor. Pourquoi enseigner la « product analytics » ?
-Par mon intervention, je cherche à sensibiliser les étudiants sur l’existence de ce domaine et de ce métier. Quelles que soient leurs responsabilités plus tard, que ce soit dans le management ou le marketing, ils auront par la force des choses l’opportunité d’interagir avec une équipe de ce type. De savoir qu’elle existe et de comprendre ses enjeux, les aidera à l’approcher de la meilleure des manières.
Peu importe le type d’entreprise, l’industrie, le domaine, la maturité de celle-ci, il y a un intérêt à faire du product analytics pour s’assurer que ce que l’on construit et ce que l’on produit comme service correspond aux attentes des utilisateurs. En tant que futurs professionnels, les étudiants auront plus ou moins directement un rôle à jouer dans cet exercice. Le but de cette visite, c’est de leur en parler et de les sensibiliser. Il m’arrive régulièrement d’intervenir dans des entreprises et des écoles.
-Selon vous, pourquoi les entreprises doivent-elles s’y intéresser et qu’ont-elles à gagner ?
-Dans la globalité des choses, toute entreprise et tout service a, in fine, des utilisateurs qui sont des humains, qui sont des clients de ce service ou de ce produit et ce peu importe l’industrie. Et c’est dans la volonté de toutes ces entreprises de s’assurer qu’elles fournissent un service qui correspond aux attentes. Le faire, c’est passer d’une manière ou d’une autre par du product analytics pour s’intéresser aux comportements des utilisateurs ou des clients et confirmer que leurs améliorations sont positives et bénéfiques.
C’est d’autant plus vrai dans un business model lié à un abonnement, où la transaction n’est pas arrêtée dans le temps, comme c’est le cas chez Dashlane. On est en permanence challengé par nos utilisateurs qui peuvent facilement changer vers un concurrent ou annuler leur inscription.
Et même en interne, c’est aussi un outil très précieux pour justifier des efforts et des investissements qui sont faits sur une équipe ou un projet, car avec de la donnée, on va venir valider, par une approche objective et scientifique, l’impact que peut avoir telle ou telle initiative.
-Que peuvent faire les entreprises en priorité pour s’y mettre ?
-Pour des entreprises moins digitales ou technologiques, rien que le fait de se poser la question et d’y réfléchir est une très bonne première étape. L’étendue des efforts qui pourront être fait dans ce sens va beaucoup dépendre de la capacité à mesurer et à capter des données au sein du fil de construction de la solution.
Le challenge c’est de capturer la donnée. On peut vite être submergé par l’immensité des possibilités. Ma recommandation serait de commencer par quelque chose d’assez simple. Avec une approche itérative, on peut l’améliorer. Rien que par un petit projet, une petite initiative, on peut déjà commencer à capter de la valeur et la comprendre. Tout ça vient derrière une volonté de comprendre et d’apprendre ce qui fonctionne et ce qui marche moins bien. Et cela commence par des premiers pas.
Dans le contexte d’un restaurant, on pourrait imaginer que le gérant porte une attention particulière aux feedbacks de ses clients. Il pourrait déjà s’intéresser aux retours qui sont laissés sur des plateformes d’avis.
-Votre métier est récent, quel a été votre parcours pour arriver à votre poste actuel ?
-J’ai une formation initiale dans l’ingénierie informatique. Très vite, j’ai développé une appétence pour la partie données et mathématiques de l’informatique. De fil en aiguille, je me suis orienté dans cette branche, parce que j’apprécie l’interface que ça offre avec différents départements, équipes ou projets au sein de l’entreprise. Je trouve cela stimulant de jouer un rôle d’influence et de stratégie via de la donnée pour guider les décisions et impacter l’entreprise.
Avant de travailler chez Dashlane dans le domaine de la cybersécurité, j’ai eu la chance d’évoluer dans un contexte tout autre dans le cadre du marketing et du reciblage publicitaire en ligne, chez Criteo. Encore avant, j’ai travaillé dans le domaine du voyage chez Amadeus, qui fournit des solutions qui permettent notamment de réserver des vols sur internet ou d’utiliser les écrans tactiles dans les avions.
-Quels sont les enjeux ou défis principaux auxquels vous faites face en ce moment ?
-L’initiative sur laquelle on investit le plus d’efforts en ce moment, c’est la notion de « self-service », le service par soi-même. Au sein de Dashlane, on veut éviter que l’équipe data soit un goulet d’étranglement pour l’accès à l’information. Par conséquent, on investit sur l’intégration et le développement d’outils qui permettent à n’importe qui dans l’entreprise d’accéder par soi-même aux informations et à la donnée, de pouvoir en tirer des conclusions, sans nécessairement passer par un individu qui va faire ce travail d’analyse. Il y a une réelle appétence à pouvoir accéder à la donnée et s’en servir. Il faut donc qu’on débloque cet accès pour qu’ils puissent le faire de manière autonome et à grande échelle.
Il est vrai que l’époque où il fallait être expert pour oser se confronter à la donnée est révolue. On se dirige plutôt vers une démocratisation de son accès.
-Les employés sont-ils prêts à ce changement ?
-Il y a plutôt une évolution qu’une cassure. Bien sûr, il faut vivre avec son temps et s’adapter. Le travail qui restera toujours dans les mains d’experts, c’est notamment la mise en place de ces outils de self-service mais à la fois aussi de garantir et s’assurer qu’en donnant les clés à la personne qui n’a pas forcément toutes les connaissances et les compétences, on va quand même réussir à la guider et l’empêcher d’aller dans les mauvaises directions et de tirer des mauvaises conclusions. L’autonomie c’est bien, mais on peut très vite se tromper sans s’en rendre compte.
-Allons-nous vers la fin des spécialistes en analyse de données?
-Les experts sont quand même utiles. Au final, ils sont les premiers satisfaits de cette évolution et je le vois directement dans mon équipe aujourd’hui. En tant qu’expert, on apprécie ne pas devoir passer du temps sur des choses assez basiques mais plutôt se concentrer sur des sujets plus complexes et stimulants qui demandent du temps. Donc on délègue à ces outils de « self-service » des tâches qui comportent peu de valeur ajoutée et sur lesquelles on passait du temps sans grand intérêt pour que nous puissions nous concentrer sur des projets qui sont plus poussés, plus complexes, sur du long terme, qui vont débloquer davantage de valeur pour l’entreprise. Il y a toujours des choses à faire !
Dans tous les cas, les employés de demain ne peuvent pas s’imaginer ne pas faire d’analyse de données dans leurs métiers liés au management et marketing. Cela parait impossible de prendre des décisions stratégiques sans analyse de données.
Propos recueillis par l’ESM
juin 2023