Compte rendu de la conférence “Au secours l’inflation revient”
Jeudi 28 septembre 2023, Pierre Gallard, docteur en sciences de gestion, associé-gérant de Cérès Management Sarl et intervenant à l’ESM, a tenu une conférence en nos locaux sur le thème économique d’actualité : “Au secours, l’inflation est de retour”.
Ce titre provocateur avait pour but de sensibiliser l’auditoire sur le fait qu’après dix ans de quasi-absence d’inflation, de taux d’intérêts très bas voire négatifs, cette période anormale post crise financière de 2008 et post-covid était terminée. Chiffres à l’appui. Et que, désormais, particuliers et chefs d’entreprises devront s’adapter à des hausses de prix et des taux d’intérêts en hausse mais normaux d’après l’orateur, puisqu’ils intègrent la notion de risque, bien que certains analystes les qualifient déjà de trop élevés.
Pierre Gallard a ensuite rappelé quelques définitions concernant l’inflation : réelle, nette, perçue, sous- jacente, inflation domestique et importée, puis analysé le rôle important des banques centrales dans la lutte contre l’inflation en agissant sur le contrôle de la masse monétaire en circulation (tapering) et grâce à « l’arme des taux d’intérêts ». Sa mise en perspective historique a clarifié les raisons pour lesquelles un objectif d’inflation de 2% par an était l’objectif à atteindre pour les principales banques centrales occidentales : la Banque Nationale Suisse, la Banque Centrale Européenne et la Federal Reserve entre autres.
Dans la troisième partie de son exposé, Pierre Gallard a évoqué la différence qui existe en permanence entre l’inflation perçue par monsieur et madame tout le monde lorsqu’il ou elle fait ses courses dans un magasin, paie ses dépenses de santé et d’énergie voire son loyer et l’indice des prix publié par l’Office Fédéral des Statistiques. Cela lui a permis de détailler les bases de calcul du panier type des indices des prix OFS et de le commenter. Puis de faire la comparaison entre l’inflation en Suisse plutôt bien maitrisée par rapport aux pays d’Europe qui l’entourent en tentant d’en expliquer les raisons.
Le conférencier a ensuite traité une partie concernant les scénarii macroéconomiques probables ou incertains et leurs incidences concernant l’inflation pour le dernier trimestre 2023, pour 2024 et… 2025 ! Sans l’imposer, il a donné son avis en déclarant que même si le renchérissement devait diminuer ou se stabiliser à court terme (fin 2023, début 2024), nous devrions ensuite nous préparer à une inflation durable égale ou supérieure à 2% par année. Les inflations alimentaire, énergie et santé étant supérieures à l’inflation sous-jacente. D’après lui les causes sont de deux ordres :
Facteurs structurels : entre autres, réchauffement climatique et phénomène El Niño qui créent sécheresses et intempéries perturbant les volumes de production et les cours des matières premières agricoles. Inflation par les coûts (hausse des rémunérations, de l’énergie) Augmentation de la population mondiale qui crée une demande forte de produits alimentaires à long terme. Coût énorme de l’effort à long terme de décarbonation de la production de biens et services, qui sera d’une manière ou d’une autre répercuté dans les prix de vente des biens de consommation ou d’équipement. Coûts de la santé qui ne cesseront d’augmenter du fait de la sophistication des soins et de l’augmentation de l’espérance de vie. Début de de défragmentation des chaines de valeur d’Asie vers l’Europe, qui augmentent les coûts de production européens.
Facteurs conjoncturels ou on l’espère temporaires : guerre russo-ukrainienne qui désorganise le marché des céréales, du gaz, du prix de l’énergie, la production de certains biens industriels et services délocalisée en Ukraine et les chaines logistiques. Tensions géopolitiques entre la Chine les Etats-Unis et Taïwan acteur majeur dans la création et la fabrication de composants électroniques haut de gamme.
Avant de donner la parole et répondre aux questions des nombreux participants à la conférence, Pierre Gallard a terminé son intervention en indiquant qu’en matière de prévisions macro-économiques et d’inflation en particulier, il faut savoir garder une attitude modeste et humble, une persistance de l’inflation modérée ou pas n’étant pas sûre à 100%. Car l’inflation, c’est la résultante d’un rapport équilibré ou non entre offre et demande. Et l’économie c’est aussi de la psychologie : adopterons-nous des comportements de « prophétie autoréalisatrice » chers à Merton ?
Pour les raisons précédemment évoquées, il se pourrait en effet que dans les semaines et mois à venir nos comportements collectifs deviennent plus protecteurs de nos intérêts personnels voire frileux : moindre consommation et plus d’épargne de précaution pour ceux qui peuvent en constituer (66% des ménages). Dans ce cas une baisse de la demande serait… déflationniste, aggravée si nos principaux clients européens, américains, chinois entre autres vivaient une crise économique et (ou) financière majeure. A moyen terme cela pourrait entraîner des conséquences sociales importantes : réapparition à terme du chômage en Suisse ; si nos clients sont grippés, la Suisse s’enrhume ! Le pire des scénarios serait la persistance de l’inflation et de la baisse du PIB. Nous l’avons déjà vécu.
Dans ces contextes volatiles, les chefs d’entreprises devront dans tous les cas atteindre des objectifs contradictoires : privilégier les stratégies de stabilisation de leur endettement, mettre en place des organisations managériales agiles, souples et réactives, sécuriser leurs capacités d’autofinancement tout en abaissant le plus possible les seuils de rentabilité, tout en accélérant les gains de productivité générés par des investissements soutenus.
Se posera enfin l’éternel dilemme du partage équilibré de la valeur créée : augmentation des salaires pour créer du pouvoir d’achat, mais sans entrer dans une spirale inflationniste salaires/augmentation des coûts et des prix de ventes, donc dans une boucle l’inflation non maitrisée…
Dr Pierre Gallard
ESM – octobre 2023e